Face à l’arbitraire, Batman se retrouve forcé à errer dans l’ombre.
Sera-t-il finalement vaincu ?
(Mal)heureusement, la linéarité aura raison du Joker.
Christopher Nolan nous proposait un monde sans règles.
Celui qui nous avait habitué aux récits déconstruits avec
Memento (2000),
Insomnia (2002, réalisation seulement),
The Prestige (2006) et même
Batman Begins (2005), nous offre ici, étrangement, un scénario linéaire avec le film
The Dark Knight.
Alors, d’emblée, que la chute du film nous offre Batman vainqueur des malfrats n’a rien d’épatant en soit mais surtout rien qui ne contrevienne à la règle générale du film de genre classique ou plus largement d’un film de la série Batman.
Or, justement, le retour de Batman orchestré par Christopher Nolan dans
Batman Begins avait le caractère et la confiance contemporaine de réactualiser le mythe : ce n’était pas la naissance de Batman, mais sa réactualisation par rapport aux autres œuvres du genre.
Alors où en est rendu Batman dans
The Dark Knight ?
Pas nécessairement évident…
Mais la mafia, elle, est aux prises avec quelqu’un qui s’attaque à leur règne sur Gotham City. Pas nécessairement Batman, mais davantage le Joker.
Mais aussi, Harvey Dent.
Le procureur général veut mettre tous les bonnets du crime organisé derrière les barreaux. Et il en est capable. Avec l’aide de Batman bien sur, mais il n’en demeure pas moins, Harvey Dent est le nouveau héro de Gotham City. L’espoir du renouveau.
Mais il va flancher et échouer.
Et c’est un des premiers problèmes du film.
La linéarité du récit ne nous réserve aucune surprise en ce qui concerne la mutation future de Harvey Dent en Two-Face.
Alors pourquoi s’attacher à la personnalité parfaite de Harvey Dent par rapport à celle de Batman ? Pourquoi donc offrir au spectateur les codes d’usage et le développement d’une relation amoureuse entre ce dernier et Rachel; l’amie de cœur des premiers jours de Bruce Wayne ?
Pendant que Batman lui-même
Believe in Harvey Dent, moi, je ne crois pas en Harvey Dent. Je crois en Batman. Pourtant, ce dernier pense se retirer au profit de Dent. Ai-je donc, moi-même spectateur, plus d’informations que le personnage principal du film ? Harvent Dent deviendra indubitablement Two-Faces ! Et pourquoi suis-je au courant de la lettre écrite par Rachel à son endroit ? Pourquoi ai-je plus d’informations sur Batman que le héro lui-même sur l’ensemble du récit qui devrait normalement s’articuler autour de sa notion de connaissance ?
Et que dire du Joker. Lorsqu’il sera finalement arrêté, il n’a aucune identité. Davantage, il ment sur sa personne tout au long du film. Il plonge Harvey Dent dans une croisade personnelle contre tout ce qu’il l’a mené à être dévisagé. Il ne désire qu’une chose : engendrer le chao. Et comment Batman empêchera-t-il ce dernier d’y arriver ?
Il n’y arrivera pas vraiment, c’est le peuple dépeint en un microcosme grotesque à bord de bateaux qui tranchera.
Certes, Batman a su retrouver la trace du Joker, mais à quel prix ?
Alors qu’on associe directement la concept du terroriste au Joker – et l’affiche du film qui (re)présentait l’iconographie évidente d’une tour du World Trade Center frappée par un 747 – Batman devra avoir recours à la torture ainsi qu’à l’espionnage systématique de toute la population de Gotham pour arriver à ses fins.
Artisan du
Patriot Act contre son gré, Lucious Fox délaissera par la suite son acolyte Batman. Mais encore, toute cette entreprise n’aurait pu avoir un dénouement heureux sans la participation première du peuple qui refuse de se soumettre à la loi du Joker; Batman n’a rien à y voir.
De la même manière où il est incapable de prévenir la descente aux enfers de Two-Face.
Batman est impuissant et même si, étrangement, il se refuse à tuer le Joker, il n’hésitera pas à mettre un terme à la vie de Harvey Dent/Two-Face.
De plus, on lui fait porter le blâme. Batman est en fuite et pourchassé à jamais par les forces de l’ordre. N'a-t-on pas l'impression que Batman n’a jamais été à l’aise dans ce récit ?
On a beaucoup écrit que
The Dark Knight serait un bon film; sans nécessairement être précisément un bon film de la série Batman. Il est peut-être là, le principal problème.
La construction narrative simplette, la recette du film de genre s’applique difficilement à un personnage comme le Joker autour duquel le récit s’orchestre. Écrit, dirigé et joué d’une main de maître, le Joker est le véritable héro du film. C’est par lui et pour lui que l’ensemble du film existe.
The Dark Knight existe pour donner au Joker une place dans l’Histoire du cinéma.
La présence du Joker est si forte qu’elle poussera Batman dans les abîmes de la figuration, de l’incompétence et de l’erreur de jugement. Le Joker orchestre un vol de banque sensationnel dans les règles de l’art tout en subjuguant le spectateur. Il obtient les meilleurs moments du film avec un crayon, des couteaux et des bidons d’essence. Il transforme Harvey Dent à tous les points de vues. Il fait échouer tous les plans institutionnels de Gotham City. Il fait en sorte que Batman sera éternellement en fuite.
Le Joker accomplit à la perfection l’ensemble de son œuvre.
Une fois le film terminé, Gotham City est d’autant plus anarchique que la veille avec un Batman qui n’a désormais plus le support des autorités.
Le Joker est celui qui force la règle à se remettre en question en écorchant au passage les libertés individuelles et la démocratie.
On nous proposait un film sans règle.
Le film réussit donc ce qu’il avait entrepris.
Malheureusement, non.
La linéarité du récit persiste et signe et ce même si le Joker est épargné par Batman.
En construisant la linéarité du récit autour d’un personnage complètement anarchique et à l’envers de la règle, on semblait donc, du même coup, condamné à mort, non seulement l’une des plus brillantes interprétations au cinéma de genre des dernières années, mais aussi un interprète qui aurait gagné à prendre toute la place méritée dans ce film.
C’est vrai que ce film n’est pas nécessairement qu’un bon Batman.
C’est pourquoi le film aurait dû pleinement assumer son articulation autour du Joker.
Le titre:
The Joker. Le tag line :
Why so serious ?Et on déconstruit le récit comme Christopher Nolan sait le faire.
Avec plus de Caméra DV à la YouTube; et moins de moments à la
Rainbow Six ou d’effets spéciaux numériques. On donne donc une trame narrative conséquente avec la construction du personnage principal, le Joker.
Mais non.
Linéarité oblige, Heath Ledger est mort; le Joker aussi.
Et il emporte avec lui une excellente performance qui aura su transformer un film moyen; en un film mémorable et certainement culte.
Cote : *** (sur 5)
Voir les commentaires sur Facebook...